Section 5 | Le remplacement

L’antibiogouvernance
Page 11 /

Les nouvelles technologies

Par le biais de déclarations relatives aux bonnes pratiques, l’Organisation mondiale de la santé recommande que toute nouvelle classe d’antimicrobiens mis au point soit considérée d’une importante critique pour la médecine humaine1. L’OMS recommande également que les antimicrobiens importants sur le plan médical ne devraient pas être utilisés chez les animaux destinés à la production d’aliments1. Par conséquent, tous les nouveaux antimicrobiens mis au point ne pourront pas être employés chez les animaux si une utilisation en médecine humaine est déjà prévue. Les antimicrobiens à notre disposition pour traiter les animaux à l’heure actuelle pourraient bien être les seuls que nous aurons jamais. Les éleveurs et les vétérinaires vont devoir faire preuve de sagesse dans la gouvernance des antimicrobiens dont nous disposons afin d’en préserver l’efficacité.

Les scientifiques et les sociétés pharmaceutiques étudient la mise au point de produits destinés à remplacer les antibiotiques. Il y a des produits disponibles qui peuvent aider à promouvoir la bonne santé et la productivité optimale des animaux. De plus, d’importants travaux de recherche mettent l’accent sur la découverte de nouveaux composés capables de promouvoir la croissance et l’immunité, de tuer des bactéries et des virus infectieux, et d’accroître l’effet des antibiotiques existants. Ces composés ont beaucoup de potentiel; toutefois, aucun ne semble prometteur au point de révolutionner la médecine comme les antibiotiques l’ont fait par le passé. Cette section décrit certains des produits actuels et à venir qui pourraient éventuellement remplacer l’utilisation des antimicrobiens.

Prébiotiques et probiotiques

Le tube digestif des animaux est colonisé d’un grand nombre de microorganismes extrêmement diversifiés qui sont indispensables pour la santé immunologique, hormonale, métabolique et nutritionnelle des animaux. Ces microorganismes rendent la tâche plus difficile aux « méchants » (comme Salmonella, Clostridium, E. coli) de s’y établir et de causer des maladies.

Les prébiotiques sont des ingrédients alimentaires ou des suppléments que le système digestif des animaux est incapable de décomposer. Ils stimulent la croissance ou l’activité de certaines des bonnes bactéries présentes dans le tube digestif des animaux2. Les prébiotiques d’usage courant comprennent de longues chaînes de sucres ou des fibres non digestibles.

 

Les probiotiques sont des microorganismes vivants (souvent unicellulaires) qui confèrent des bienfaits pour la santé des animaux3. Voici quelques-uns des micro-organismes les plus étudiés et les plus courants qu’on retrouve dans les probiotiques : Lactobacillus spp., Bifidobacterium spp., Propionibacterium spp., Enterococcus spp., Pediococcus spp., Bacillus spp. Bacteroides spp. Et la levure Saccharomyces cerevisiae3.

 

La recherche sur les bienfaits précis des prébiotiques et des probiotiques évolue rapidement. Les données scientifiques accumulées à ce jour soulignent notamment les bienfaits suivants :

  • la prévention de la diarrhée2, 4, 5;
  • l’amélioration de la réponse immunitaire et de la santé générale2, 4, 5;
  • l’amélioration de la conversion alimentaire et des gains de poids quotidiens4, 5.

Il ne faut pas oublier que les concentrations et les espèces de micro-organismes bénéfiques varient énormément d’un produit à l’autre. Si vous envisagez d’utiliser des prébiotiques ou des probiotiques pour vos animaux, il vaudrait mieux en discuter avec un vétérinaire ou un nutritionniste pour choisir le produit convenant le mieux à votre troupeau, d’après les connaissances scientifiques recueillies.

Bactériophages

Tout comme nous, les bactéries peuvent aussi être infectées et tuées par des virus. Cette classe de virus capable d’infecter des bactéries s’appelle les bactériophages. Le bon côté des bactériophages, c’est qu’ils ne causent aucun tort aux animaux – ils ne ciblent que certaines bactéries seulement. Même si la recherche portant sur les bactériophages en est encore à ses premiers pas, les chercheurs travaillent à mettre au point des traitements novateurs exploitant les aptitudes destructrices de certains bactériophages contre les bactéries animales6.

 

Peptides modifiés

Il y a plusieurs petites protéines qui ont des propriétés antibactériennes qui pourraient servir de moyen préventif ou de traitement contre les infections bactériennes. Par exemple, le peptide nisine A a affiché un effet létal contre des bactéries courantes qui provoquent la mammite chez les vaches laitières.

 

Stimulants immunitaires

Il y a plusieurs substances capables de stimuler le système immunitaires des animaux pour le rendre généralement moins sensible aux infections. Certaines substances sont mises à l’épreuve en vue d’être utilisées avec des vaccins afin d’obtenir une réponse immunitaire plus forte et plus durable6, tandis qu’il y a d’autres produits commerciaux qui contribuent à stimuler l’immunité durant les périodes de stress8, 9.

Anticorps de jaune d’œuf

Dans les élevages agricoles mixtes, on voit souvent des éleveurs qui donnent des jaunes d’œuf à leurs animaux pour traiter la diarrhée. Il y a une raison logique derrière cette façon de faire – les jaunes d’œufs contiennent beaucoup d’anticorps qui peuvent aider à lutter contre les infections, et plus particulièrement la diarrhée. Les sociétés pharmaceutiques ont poussé la chose plus loin. En vaccinant les poules pondeuses avec des vaccins précis, ils les amener à produire des anticorps contre des bactéries et des virus spécifiques. Nourrir les animaux de ces produits a mené à une réduction de la fréquence de la diarrhée6.

 

Inhibiteurs de quorum

Les bactéries ont besoin de « communiquer » entre elles pour causer une maladie. Il existe des produits qui inhibent les substances chimiques que les bactéries utilisent pour communiquer entre elles10. Servis aux animaux, ces produits limitent la croissance bactérienne, réduisant ainsi la fréquence de la diarrhée en plus de favoriser la conversion alimentaire et les gains de poids10.

Résistance génétique à la maladie

Plusieurs sociétés de génétique font des pas de géant dans la prévention des maladies en mettant l’accent sur la production d’animaux de reproduction qui ont une plus grande résistance à la maladie. Par exemple, des chercheurs ont découvert que la réponse immunitaire pouvait être incluse dans les indices d’élevage génomiques de vaches Holstein pour améliorer la santé du bétail11. Les sociétés de génétique de toutes les productions animales font de la réponse immunitaire leur point de mire pour les futures générations d’animaux.

 

Système CRISPR-Cas

Le système à courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées (ou Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeat en anglais) pour l’édition génétique a un immense potentiel pour de nombreuses applications médicales. Ce système a évolué comme moyen de protection contre les invasions de bactériophages. Lorsqu’un ADN étranger se retrouve dans une bactérie (par suite d’une infection de bactériophages, par exemple), le système CRISPR-Cas joue le rôle d’une paire de ciseaux moléculaire – découpant cet ADN et empêchant tout autre dommage. Les chercheurs tentent de s’approprier ces ciseaux moléculaires et de les utiliser contre les bactéries6. À l’avenir, des produits fondés sur cette technologie pourraient cibler des maladies précises. L’ADN de ces bactéries ou de ces virus pathogènes pourrait être découpé à l’aide de ces ciseaux moléculaires, sans toucher aux parties bénéfiques des bactéries. La recherche en est encore à ses débuts et tente de mieux comprendre la technologie, mais elle offre sans contredit d’immenses possibilités dans la lutte contre les bactéries.

 

Un dernier mot sur le remplacement

Bien qu’il y ait plusieurs nouvelles technologies qui pourraient compléter ou remplacer les antibiotiques jusqu’à un certain point, la plupart en sont encore à leurs premiers pas. Il faut habituellement de 5 à 12 ans pour amener un nouveau médicament à travers le processus d’approbation réglementaire, et très peu de ces produits ont le potentiel de révolutionner la médecine moderne de la façon dont l’arrivée des antibiotiques a pu le faire à l’origine.

De plus, toute nouvelle classe d’antibiotiques sera vraisemblablement réservée à l’utilisation en médecine humaine et ne sera PAS utilisée chez les animaux. L’ensemble des antibiotiques présentement utilisables chez les animaux pourrait bien représenter l’essentiel de ce qui sera disponible. Cela rend les principes d’antibiogouvernance d’autant plus importants – nous devons réduire la nécessité d’utiliser des antibiotiques et quand leur utilisation s’impose, nous devons le faire de manière judicieuse.

Références :

  1. WHO. World Health Organization Guidelines on Use of Medically Important Antimicrobials in Food – Producing Animals.; 2017. http://apps.who.int/iris/bitstream/10665/258970/1/9789241550130-eng.pdf?ua=1.
  2. Uyeno Y, Shigemori S, Shimosato T. Effect of Probiotics/Prebiotics on Cattle Health and Productivity. Microbes Environ. 2015;30(2):126-132. doi:10.1264/jsme2.ME14176
  3. Seal BS, Drider D, Oakley BB, et al. Microbial-derived products as potential new antimicrobials. Vet Res. 2018;49(1):1-12. doi:10.1186/s13567-018-0563-5
  4. Al-Khalaifah HS. Benefits of probiotics and/or prebiotics for antibiotic-reduced poultry. Poult. Sci. 2018;97(11):3807-3815. doi:10.3382/ps/pey160
  5. Buntyn JO, Schmidt TB, Nisbet DJ, Callaway TR. The Role of Direct-Fed Microbials in Conventional Livestock Production. Annu. Rev. Anim. Biosci. 2016;4(1):335-355. doi:10.1146/annurev-animal-022114-111123
  6. Marquardt RR, Li S. Antimicrobial resistance in livestock: Advances and alternatives to antibiotics. Anim. Front. 2018;8(2):30-37. doi:10.1093/af/vfy001
  7. Kitazaki K, Koga S, Nagatoshi K, et al., In vitro synergistic activities of cefazolin and nisin A against mastitis pathogens. J. Vet. Med. Sci. 2017;79(9):1472-1479. doi:10.1292/jvms.17-0180
  8. Ruiz R, Tedeschi LO, Sepúlveda A. Investigation of the effect of pegbovigrastim on some periparturient immune disorders and performance in Mexican dairy herds. J. Dairy Sci. 2017;100(4):3305-3317. doi:10.3168/jds.2016-12003
  9. Ilg T. Investigations on the molecular mode of action of the novel immunostimulator ZelNate: Activation of the cGAS-STING pathway in mammalian cells. Mol. Immunol. 2017;90(August):182-189. doi:10.1016/j.molimm.2017.07.013
  10. Cheng G, Hao H, Xie S, et al. Antibiotic alternatives: The substitution of antibiotics in animal husbandry? Front Microbiol. 2014;5(MAY):1-15. doi:10.3389/fmicb.2014.00217
  11. Thompson-Crispi KA, Sargolzaei M, Ventura R, et al. A genome-wide association study of immune response traits in Canadian Holstein cattle. BMC Genomics. 2014;15(1):559. doi:10.1186/1471-2164-15-559